Le Bénin a-t-il besoin de s’endetter pour soutenir son programme de développement ? Si oui, quelles sont les exigences pour une bonne dette ? Mais à quoi servent les ressources mobilisées à travers la dette ? Comment le pays fait-il pour récolter aujourd’hui des lauriers au plan de sa politique de gestion de la dette ? Le Ministre de l’Economie et des Finances, Romuald WADAGNI, répond aux préoccupations souvent soulevées par certains compatriotes. Lisez-plutôt.
Monsieur le Ministre, notre pays vient d’être honoré à nouveau par la Banque Mondiale à travers son indice d’évaluation de la transparence en matière de gestion de la dette publique dans les pays éligibles au financement IDA. De quoi s’agit-il concrètement ?
Romuald WADAGNI : Effectivement, la Banque Mondiale a publié, en juin dernier, son évaluation sur la transparence dans la diffusion des informations sur la dette, au sein des pays membres de son institution qui aide financièrement les pays (IDA), soit un total de 76 pays.
Il s’agit d’une évaluation qui tient compte de la disponibilité des données sur la dette, leur exhaustivité et la fréquence de leur publication ainsi que celle des documents de gestion de la dette. Suite à cette évaluation, le Bénin a eu la note maximale, pour faire plus simple, disons 20/20, pour 7 des 9 critères évalués ; ce qui le propulse à la tête de ce classement pour l’ensemble des 76 pays évalués au niveau mondial. Pour nous, ce classement n’est pas surprenant. Déjà en octobre 2019, le Bénin a obtenu une reconnaissance pour la bonne qualité de la gestion de la dette publique, à travers le prix Global Markets 2019 du « Meilleur gestionnaire de dette souveraine en Afrique subsaharienne », lequel a été décerné au Bénin en marge des Assemblées Annuelles de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International. Toutes ces distinctions consacrent le travail minutieux que nous faisons pour mettre la dette au service du développement de notre pays.
Monsieur le Ministre, malgré cette performance, divers commentaires sur les réseaux sociaux semblent s’inquiéter de l’évolution de l’endettement de notre pays. Qu’en dites-vous ?
Je suis attentif aux réactions de nos compatriotes qui pensent ainsi. Pour beaucoup, la dette renvoie à l’image du créancier qui vient frapper à votre porte le matin à 06H ou au propriétaire qui enlève le toit de la chambre du locataire pour l’obliger soit à rembourser, soit à déserter les lieux. Mais, il est important de ne pas diaboliser la dette. Bien gérée, la dette est un puissant facteur de développement. Vous pouvez vous amuser à jeter un coup d’œil sur les taux d’endettement des grands pays développés pour vous en convaincre. Sans la dette, nous ralentirions notre rythme de croissance et de développement économique. Prenons l’exemple de deux fonctionnaires qui souhaitent avoir une maison. Le premier fait l’option de l’épargne pure et simple. Il épargne quasiment durant toute sa carrière. Il finit par construire sa maison avant sa retraite. Le deuxième s’endette et construit sa maison, y vit en remboursant progressivement. De ces deux fonctionnaires, qui a le plus profité de la maison ? En matière d’endettement, il faut se poser des questions simples comme : Que veut-on faire avec la dette ? Quel est l’intérêt à payer (le coût de la dette) ? Quelle est sa durée de remboursement ? Cette durée de remboursement est-elle compatible avec ce que l’argent va servir à faire ? Sur ce que la dette va faire, il est impératif que la dette serve à faire quelque chose de tangible. Dans l’exemple précédent, le deuxième fonctionnaire a utilisé l’emprunt pour construire sa maison. Si cette somme avait été utilisée pour célébrer le 40ème anniversaire du décès du grand père, clairement ce serait une très mauvaise utilisation des ressources.
Pour revenir au deuxième fonctionnaire, si je suppose qu’il met une partie de la maison en location, il est peu probable que les loyers puissent rembourser l’argent qui a permis de construire la maison après un ou deux ans seulement. S’il négocie avec son créancier un délai de remboursement de deux ans, cette dette serait une dette de mauvaise qualité en raison de l’incohérence entre le délai de remboursement et les ressources générés par les loyers payés. Ces principes de gestion de la dette, sont également valables au niveau d’un pays. Les interventions du Bénin en matière d’endettement s’inscrivent dans un cadre global à travers la Stratégie d’Endettement de notre pays. Cette Stratégie fixe les objectifs et cibles du portefeuille de la dette de l’Etat. Elle encadre l’ensemble des actions d’endettement. Autrement dit, à travers cette stratégie, le Bénin sait exactement quand s’endetter et à quelles fins. Le plus important est de maintenir une limite cohérente avec la capacité de remboursement actuelle et future de notre pays. L’évaluation de la capacité de remboursement d’un pays est appelée analyse de viabilité. Elle est réalisée avant chaque emprunt. Elle permet de voir si, sur les 20 prochaines années, le pays sera toujours capable de rembourser toutes les dettes contractées.
Des contre analyses sont également réalisées par le FMI et la Banque Mondiale. A ce jour, toutes les analyses montrent que la dette du Bénin est viable.
Monsieur le Ministre, dites-nous à quoi sert réellement la dette levée par le Bénin ?
La dette sert d’abord à l’investissement. Regardez autour de vous et voyez toutes les infrastructures construites ou en cours de construction. En début de chaque année, nous réalisons ce que nous appelons le « borrowing plan » ou plan d’emprunt en français. Ce document retrace la liste des projets pour lesquels nous rechercherons des financements. Au cours de l’année, nous exécutons simplement ce plan. Nous avons également réalisé une autre opération appelée « reprofilage ». Pour caricaturer cette opération, prenons l’exemple d’un individu qui a une dette d’un million (1.000.000) FCFA à rembourser dans un délai de 12 mois, en versant un taux d’intérêt de 10%, soit 100.000 FCFA. Pour mieux supporter cette dette, il fait l’option de contracter une nouvelle dette de même montant, auprès d’un autre créancier qui consent un délai de remboursement plus long (3 ans) et un taux d’intérêt annuel plus faible de 2%, soit 20.000 FCFA. Avec ce nouvel emprunt, il rembourse le premier créancier.
Cette nouvelle opération lui permet d’une part, de supporter moins de charges d’intérêt et de dégager une économie à affecter à d’autres dépenses utiles et, d'autre part, de disposer d’un délai de remboursement plus long. Ainsi, dans sa démarche de recourir à des mécanismes innovants de financement, le Bénin est parvenu à mobiliser des ressources à un taux d’intérêt de 3,8% à rembourser en 12 ans pour remplacer une dette existante à l’avènement du Gouvernement actuel, contractée à un taux d’intérêt allant à 8% et remboursable seulement en 3 ans. A travers cette opération, le Bénin ressort avec une amélioration du profil de remboursement de sa dette et une économie estimée à environ 30 milliards de FCFA.
Le Bénin a ainsi dégagé des ressources supplémentaires pour le financement des dépenses sociales.
Monsieur le Ministre, avez-vous un mot pour conclure cet entretien ?
Pour finir, je voudrais que nos compatriotes soient rassurés. La dette du Bénin est bien gérée. Les différentes distinctions reçues au cours des deux dernières années le prouvent à suffisance. Comme je le disais dans mon propos, bien gérée, la dette est un puissant facteur de développement.
Toutefois, nous ne devons pas nous satisfaire de ces résultats élogieux obtenus au plan de la dette. Nous maintiendrons la rigueur et la transparence dans la gestion de la dette pour des résultats encoreplus grands.